La rencontre parfaite

Une rencontre libertine, se prévoit. Il n’est pas marqué sur le visage des gens leurs fantasmes et leur mode de vie, et d’ailleurs nous n’aimerions pas non plus que ce soit marqué sur le notre, donc tout va bien.

Lorsque nous souhaitons passer une soirée de réjouissance, comme tout le monde, nous l’organisons. Il y a la solution la plus simple (pas la moins coûteuse) : les clubs libertins. Puis il y a la solution la plus chronophage : les sites internet du même univers, sur lesquels au bout d’un certain temps, noyée dans une masse de clichés pornographiques ou pseudo-intellectuels, la perle rare émerge, femme, homme, couple… Ce qui n’évite pour autant pas les mauvaises surprises, les rendez-vous non honorés, une alchimie qui ne prend pas etc.

Cependant ces solutions sont très pratiques, et nous ont permis de faire de belles rencontres. C’est dit, l’hommage est rendu. Mais elles manquent tellement de charme, de surprise, d’inconnu, d’insouciance et d’aventure.

Dans cet esprit nous avions un jour prévu d’organiser une soirée qui ne se voulait pas libertine mais réunissant des libertins. L’esprit était plus important que le sexe et l’idée de partager une certaine conception du couple entre les convives, une affinité sensuelle et joueuse, devait permettre à ce moment d’embrasser une ambiance plus légère, plus fluide et moins calculée. Mais trouver assez de personnes qui partagent exactement cette envie et qui nous correspondent est très compliquée. L’équilibre peut vite basculer et d’ailleurs nous n’étions pas sur nous même de ne pas vouloir participer à ce déséquilibre.

Évoquant ces sujets avec un ami, lui aussi adepte de libertinage, nous partagions cette frustration de ne pouvoir rencontrer des personnes qui seraient sur la même longueur d’onde, dans un endroit conventionnel. Nous évoquions le plaisir que nous aurions, à diner dans un restaurant et croiser le regard d’un couple qui se reconnaitrait en nous, et nous en eux. De pouvoir sans peur de se tromper ou de gêner voir choquer, les approcher afin de faire connaissance et pourquoi pas donner à la suite de la soirée une teinte plus colorée.

Je ne voyais qu’une solution à cet épineux problème : afin de réussir à se reconnaitre dans une soirée ou un lieu traditionnel, il faudrait pouvoir se distinguer. J’esquissais sur un bout de papier le dessin d’un bijou que pourrait porter la femme autour du cou et l’homme en broche ou bracelet, permettant dans n’importe quel lieu de pouvoir être reconnu des initiés à l’objet. Il y avait quelque chose de terriblement excitant à l’idée d’être une poignée de personnes à être dans la confidence et de voir évoluer discrètement, secrètement une petite société parallèle peuplée de personnes qui non seulement partageaient un état d’esprit mais pouvaient ainsi se rencontrer dans un cadre classique, tout en étant libre de digresser sans se tromper sur les intentions de chacun.

En attendant la réalisation de ces bijoux il nous fallait patienter. Et c’est souvent lorsque l’on ne s’y attend pas que le miracle arrive.

Nous étions à dix mille lieues du libertinage ce soir là. Heureux de pouvoir fêter les 30 ans d’une amie, nous arrivions dans le bar où notre petit groupe de potes s’était déjà réuni, aux alentours de 20h. L’ambiance était donc festive et décontractée, on fait pas vraiment attention à son apparence c’est plutôt le style casual qui définit l’endroit. Je le précise car lors d’une soirée libertine on a tendance à surjouer l’apparence avec des exigences vestimentaires parfois utiles pour donner un cachet ou une ambiance, mais souvent prétentieuses et parfois vulgaires, ce n’est pas un jugement et je ne suis pas contre ce jeu là tant qu’il trouve ses participants mais je ne peux m’empêcher de penser qu’il cache souvent bien des choses qui sont pourtant importantes dans la séduction dont l’authenticité et le naturel.

La soirée se passait très bien, on oublie facilement, entourés de ses amis, les petits tracas quotidiens et nous avions tellement été absorbés par notre travail ces derniers temps, que cette petite bulle d’oxygène avait sur nous un effet euphorisant. Nous nous enivrions gentiment, moi enchainant les pintes de bières, et Sarah à la recherche de la chaleur des ty punch. N’étant pas grand amateur des pistes de danses, mon ivresse n’était pas bridée par les efforts physiques que Sarah déployait avec nos amies sur les rythmes très à la mode que diffusait le DJ du soir.

C’est sur la piste de danse qu’un jeune couple remarqua Sarah puis la suivit du regard lorsqu’elle me rejoignit. Lovée dans mes bras, belle et épanouie elle avait dû un peu déteindre sur moi car le couple fut séduit par le notre. Nous ne remarquions rien.

Certainement un peu paralysés par le contexte et le risque qu’il impliquait, ils ne vinrent pas nous parler. Nous étions aussi, il faut le dire, avec des amis coiffés des chiffres 3 et 0 dans l’ambiance assez exclusive d’un groupe fermé qui ne se prête donc pas à la séduction.

C’est aux alentours de 1h du matin, à notre sortie du bar, qu’ils osèrent nous approcher. Quel délice. Un couple de notre tranche d’âges, attirant, pétillant, qui nous complimente et nous invite à poursuivre la soirée plus loin, ailleurs, ensemble.

Et quelle déception, quelle frustration de ne pouvoir accepter cette invitation tant espérée et attendue. Si seulement elle était intervenue plus tôt ou bien apparue un autre de ces nombreux soirs où nous sortions qu’à deux nous distraire dans un bar. Mais nos obligations professionnelles nous obligeaient à un lever bien matinal et il nous était vraiment impossible de donner suite et c’est réellement déconfit que nous refusions. L’ivresse et l’atemporalité du moment gagnaient chez nous quatre contre la déception furtive et souhaitant une bonne fin de soirée à nos deux prétendants, nous ne pensions ni eux, ni nous, à échanger nos coordonnées. C’était un moment furtif, magique, unique encore aujourd’hui, c’était un rendez-vous manqué mais une rencontre parfaite.

PS : le bijou est en cours de développement qui sait si un jour nous ne nous distinguerons pas dans la foule ?

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